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Même à la stricte échelle belge, ce dispositif frauduleux était de langage courant, peu connais-
le « Footbelgate » révélé par les favoriser le succès d’importants sent son origine et les travaux
faits de 2018 évoqués ci-dessus paris, tantôt placés sur des pla- de E.H. Sutherland desquels elle
ne peuvent nullement être con- teformes légales, tantôt auprès de a émergé . Dans son ouvrage de
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sidérés comme la première con- bookmakers asiatiques opérant référence, plus que finalement
frontation du monde du foot de manière underground, par la la criminalité des dirigeants
avec la fraude. En effet, et par corruption de ces acteurs du foot. d’entreprise (les cols blancs),
exemple, en 1982, le foot belge Sutherland démontrait la délin-
fut déstabilisé par « l’affaire Le trucage de matches n’est pas quance des entreprises, comme
Standard-Waterschei » : en vue une invention belge ; tous les structures, personnes morales,
de s’assurer du titre de cham- pays ont été ou sont concernés et et le traitement préférentiel,
pion national, le Standard de il suffit, pour s’en convaincre, de hors de la chaîne pénale clas-
Liège acheta, à l’époque, plu- jeter un oeil sur l’actualité judi- sique, caractérisant ce conten-
sieurs joueurs du club de Wa- ciaro-sportive d’un ensemble de tieux. Mais Sutherland souli-
terschei afin que ceux-ci lèvent compétitions. Calciopoli et Cal- gnait aussi la récurrence des
le pied lors de la rencontre op- cioscommese en Italie (2006), Ko- infractions commises par cer-
posant les deux équipes. Objec- riopolis en Grèce (2011), l’affaire taines des plus grandes sociétés
tif ? S’assurer, pour le Standard, Hoyzer en Allemagne (2005) ou US scrutées par ses soins, sur
le titre de champion de Belgique encore Sike Davasi en Turquie une période d’analyse de plus
en limitant l’énergie dépensée (2011), les exemples ne man- de 30 ans : les individus chan-
et préserver, de la sorte, ses quent pas ! L’un des opérateurs geaient mais la délinquance de-
joueurs à quelques jours d’une de monitoring des paris spor- meurait, ce qui plaide en faveur
finale de coupe européenne . De tifs, Federbest, estime que ce ne d’une analyse des causes de la
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même, « l’affaire Yé », survenue sont pas moins de 510 matchs délinquance qui dépasse la
en 2005-2006, avait déjà mis en de football intervenus au cours stricte responsabilité indivi-
évidence la potentialité de tru- de la saison 2013/2014 qui pré- duelle, même si celle-ci, à bien
quages de matches de la compé- sentaient des éléments suspects des égards, est plus confortable
tition belge, non plus à des fins tandis que 110 d’entre eux mon- à concevoir puisqu’elle em-
strictement sportives mais avec traient des éléments clairs et pêche toute (re)mise en cause
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l’objectif de fausser des paris patents de manipulation . plus large.
sportifs. Zheyun Yé, se présen- Il convient de garder à l’esprit
tant comme un homme d’af- que les quelques illustrations ci Il n’en va pas autrement du foot-
faires, écuma les clubs de foot- -dessus ne concernent que les ball professionnel que de l’ana-
ball belges - le plus souvent fi- manipulations de matches, soit lyse de Sutherland. La persistance
nancièrement exsangues - pour à des fins de paris sportifs, soit des comportements frauduleux
leur proposer des contrats de à des fins de falsifications de doit être analysée comme la ma-
sponsoring et même des inves- compétitions et que, en outre, nifestation possible d’un ter-
tissements en cas d’action- elles sont loin d’être exhaus- reau fertile pour la fraude, en ce
naires. S’il fut éconduit par bon tives de ce seul comportement que ce secteur d’activité recèle
nombre de phalanges mé- illégal. La palette d’infractions alors un nombre significatif de
fiantes, certaines furent cepen- (si l’on veut utiliser une grille facteurs criminogènes. Ces fac-
dant moins regardantes, ce qui de lecture juridique) est néan- teurs doivent dès lors être ex-
permit à l’intéressé, avec la moins bien plus large et si, en plorés afin de poser le débat de
complicité judiciairement avé- plus, l’on quitte le prisme juri- manière correcte, ce qui est la
rée d’un dirigeant de club, d’un dique pour celui de l’éthique, la condition nécessaire (mais pas
avocat et d’un « agent » non of- liste des comportements s’al- suffisante) pour des actions cor-
ficiel, d’approcher des joueurs longe très significativement. rectrices efficaces. En outre, il
et des entraîneurs afin que ceux est également possible de ques-
-ci « lèvent le pied » dans cer- Si l’expression « crime en col tionner cette récurrence fraudu-
taines rencontres. La finalité de blanc » est quasi passée dans le leuse à l’aulne de l’hypothèse
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N 30– Juillet 2020
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