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à  ce  qui  est  considéré  comme  ma,  aux  Îles  vierges  britan- à  gagner  met  en  péril  durable-
          une contribution inéquitable  de  niques  et  aux  Seychelles.  C’est  ment  cette  région  du  monde,
          chacun avec d’un côté ceux qui  évidemment des chiffres à mini- hypothéquant  profondément  et
          paient,  en  général  les  classes  ma  car  quand  on  recoupe  les  dangereusement  l’espoir  d’un
          moyennes  salariées,  de  l’autre  différentes études, on aboutit à  développement  humain,  éduca-
          ceux  qui  échappent  à  l’impôt,  des  montants  plus  élevés.  Par  tif,  social  et  sanitaire  satisfai-
          les  multinationales  et  les  plus  exemple,  la  fraude  et  l’évasion  sant. Avant même de penser aux
          riches.  Mais  ce  n’est  peut-être  fiscales  au  Ghana  correspon- robinets  de  l’aide  internatio-
          pas  là  le  pire  des  maux.  Il  faut  dent  à  50  %  de  son  budget  an- nale, il est nécessaire  et  urgent
          se  déplacer  vers  le  continent  nuel.  Le  Togo,  l’un  des  pays  de colmater les brèches par les-
          africain pour mesurer toutes les  africains  les  plus  affectés  par  quelles  l’argent  s’échappe  pour
          conséquences de ces délits.       les flux financiers illégaux, voit  rejoindre les paradis fiscaux.
                                            s’échapper plus des 3/4 de son
          B.   Un continent sacrifié        PIB. Les multinationales à la re-  Phénomène  que  nous  commen-
                                            cherche permanente de maximi-     çons  à  observer  aujourd’hui
          L’Afrique  peut  être  présentée                                    dans  les  pays  industrialisés,
          comme  un  cas  d’école  en  ma-  sation  de  leurs  profits  engran-  l’assiette  fiscale  s’avère  extrê-
          tière  de  corrélation  entre  les   gent  11  milliards  de  dollars   mement  réduite  dans  les  pays
          délits  financiers  et  les  difficul-  supplémentaires  grâce  à  l’éva-  en voie de développement et ce
          tés  des  États.  Plusieurs  études   sion   fiscale,   mais   aussi   depuis  très  longtemps.  La  qua-
          théoriques  et  empiriques  ont   38  milliards  de  dollars  par  les   drature  devient  alors  complexe
          montré  que  lorsque  l’Afrique   rescrits  fiscaux  (tax  ruling)  né-  à résoudre avec des pauvres de
          reçoit  100  €  d’aides  internatio-  gociés  avec  les  dirigeants  des   plus en plus pauvres et non im-
          nales, il y a parallèlement entre   pays  où  elles  sont  implantées,   posables, des classes moyennes
          200  et  1  000  €  provenant  de  la   moyennant  souvent  de  géné-  qui se paupérisent, se réduisent
          corruption,  des  détournements,   reux  bakchichs  ou  par  le  chan-  et fraudent parfois le fisc face à
          de l’optimisation et de la fraude   tage  à  l’implantation.  Sans  ces   l’alourdissement   exagéré   de
          fiscales  qui  sont  discrètement   accords   comment    expliquer   leur  contribution  et  des  riches
          exfiltrés  vers  les  paradis  fis-  qu’une  entreprise  comme  ARE-  de plus en plus riches mais qui
          caux. Ils seront ensuite investis   VA  produise  30  %  de  son  ura-  très  souvent  parviennent  à  évi-
          dans des projets immobiliers ou   nium au Niger et que ces appro-   ter la taxation par les différents
          fonciers.  Ces  mauvaises  habi-  visionnements  ne  représentent   circuits  et  montages  déjà  évo-
          tudes  dégradent  évidemment      que  7  %  du  total  de  ses  paie-  qués.  Les  pays  se  retrouvent
          l’économie  régionale,  rendant   ments.  De  même  en  Angola,  un   ainsi  exsangues  car  incapables
          inutile  toute  velléité  d’aider  au   écart de 100 millions de dollars   de  lever  un  impôt  suffisant  au-
          développement  du  continent.     est mesuré entre les revenus du   près  d’une  frange  contributive
          Ce phénomène se retrouve dans     pétrole  déclarés  et  les  revenus   de  plus  en  plus  étroite.  Les
          de  nombreux  autres  pays  du    réels.                            crises   budgétaires    accompa-
          globe. Les fameux biens mal ac- Ce  pillage  des  multinationales   gnent  les  crises  sociales  ayant
          quis  (BMA)  proviennent  très  par l’évasion fiscale correspond  pour  conséquence  des  risques
          souvent  du  fruit  de  ces  pra- à  65  %  des  sommes  échappant   de  soulèvement  populaire  vio-
          tiques : spoliation de la popula- au contrôle et donc à l’impôt en   lent. À une échelle plus globale,
          tion,  détournements,  corrup- Afrique.  Les  activités  crimi-     les  impacts  délétères  des  para-
          tion,  crimes,  commissions  oc- nelles  (drogue,  trafic  d’armes,  dis fiscaux peuvent être surpre-
          cultes.                           traite  humaine…)  et  la  corrup-  nants.
                                            tion des fonctionnaires forment
          L’Uneca,  la  commission  écono- respectivement  les  30  %  et  5  %   C.   Argent sale et aggrava-
          mique  pour  l'Afrique  aux  Na- restant. Bien loin de la question        tion  des  cataclysmes
          tions  Unies,  estime  que  l’éva- de  l’enfer  fiscal  décrié  en  Eu-   mondiaux
          sion fiscale africaine représente  rope  de  l’Ouest  et  censé  expli-
          30  à  60  milliards  de  dollars  et  quer  la  fuite  de  capitaux  et  les  Pour  rester  sur  des  considéra-
          atterrit essentiellement au Pana- petits arrangements, ce manque  tions modernes et actuelles, les



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