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1994 et 2016 avaient des anté- riences, l’histoire de la per- ment servir à légitimer la crimina-
cédents judiciaires, faisant ap- sonne, ainsi que ses réseaux et lité. « Inspire », le magazine en
paraître un double lien entre d’autres facteurs l’amènent à se ligne d’Al-Qaïda, incitait de
criminels et extrémistes : tourner vers l’extrémisme et à jeunes Occidentaux musulmans à
basculer dans la violence. Les devenir des « loups solitaires »
- Un lien social, avec fusion
partielle entre les deux du fait profils et les parcours enregis- pendant les années 2000, et indi-
de : mêmes origines démogra- trés dans la base de données quait à ses lecteurs que « s’appro-
phiques ; mêmes origines géo- suggèrent que le discours de prier les biens de ses ennemis »
graphiques ; mêmes origines Daech est parfaitement en était non seulement autorisé
sociales ; échanges, assistance phase avec les besoins et les mais, parfois même, obligatoire.
et opérations commerciales aspirations personnelles des Daech suit le même raisonne-
entre amis et connaissance de criminels et qu’il peut servir à ment, l’exemple le plus célèbre
longue date. inciter les intéressés de conti- étant celui d’un membre belge de
nuer à se livrer à des activités Daech chargé de recruter et de
- Un lien carcéral : la prison se criminelles. mobiliser jusqu’à 72 combattants
révélant un incubateur et un terroristes étrangers. Après sa
terreau fertile de radicalisa- Ces éléments mettent au jour un radicalisation, celui-ci a mis à
tion. « parcours de rédemption ». Il profit ses « compétences » crimi-
s’agissait de criminels ayant vécu
Les auteurs des attentats de une « ouverture cognitive », c’est- nelles pour recruter de jeunes
2015/2016 en France prove- à-dire un événement traumati- hommes comme combattants ter-
naient presque tous du gangsté- sant ou une crise personnelle roristes étrangers, qu’il encoura-
risme de banlieues, avec à l’ori- les amenant à analyser leur vie geait à commettre des vols et des
gine une nature plus prédatrice et à s’ouvrir à un changement attaques, justifiés, selon lui, par
que politique ou religieuse et radical de valeurs et de compor- des motifs religieux.
pour la plupart d’entre eux, une tement. Ils avaient réalisé com- Les éléments sont nombreux qui
faible ou absence de connais- bien leur comportement crimi- montrent que les antécédents
sances sur les principes du Co- nel avait été nuisible et combien criminels accélèrent le proces-
ran. La question se pose sur il était nécessaire de rompre sus de radicalisation. La période
leur raison de passer de l’une à avec leur passé pour racheter de mobilisation, l’intervalle de
l’autre, et si leur apparente jus- leurs « péchés ». Forts de ce rai- temps entre le ralliement à un
tification politico-religieuse n’a sonnement, ils étaient ainsi groupe extrémiste et la partici-
pas été un prétexte pour la mûrs pour embrasser la religion pation à des actes de violence,
poursuite de leurs anciens com- et se rallier à des groupes était très souvent exceptionnel-
portements prédateurs. Il a été comme Daech. Tout comme les lement courte (souvent moins
en effet constaté que ceux-ci groupes criminels auxquels ils de quatre mois, voire quelques
avaient reformé dans la zone appartenaient par le passé, ces semaines). En outre, même si
syro-irakienne, leur sociabilité nouveaux groupes leur offraient l’usage de la violence n’était pas
de quartier, sous la forme de pouvoir, violence, aventure et comparable, les actes de violence
katibas, et leurs passés et expé- adrénaline, ainsi qu’une identité des terroristes étaient toujours
riences dans la violence et les forte et un sentiment de rébel- plus violents que ceux des cri-
activités délictuelles semblaient lion. Le pas entre criminalité et minels. Ces conclusions confir-
être un plus recherché dans terrorisme était ainsi plus faci- ment l’idée que la familiarité
leurs activités de combat. lement franchi et ce d’autant avec la violence (criminelle)
plus qu’à l’inverse d’Al-Qaïda, produit des terroristes non seu-
Une des questions importantes Daech n’exige de ses membres lement plus versatiles mais aus-
concernant le lien entre crimi-
nalité et terrorisme est celle de pratiquement aucune connais- si plus violents.
savoir comment le passé crimi- sance ni apprentissage religieux Les prisons apparaissent par ail-
et se soucie peu des complexi-
nel contribue au processus de leurs comme des foyers de « vul-
radicalisation, c’est-à-dire com- tés du discours théologique. nérabilité » où les extrémistes
ment la situation, les expé- Le discours terroriste peut égale- retrouvent une foule de « jeunes
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