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membres et les pays tiers doi- mas Jefferson, 3 ème président des une évolution de son rôle
vent être levées (articles 63 à 66 États-Unis. (Vincent Piolet, 2013). L’État a
du Traité du Fonctionnement de Pourtant, l’État, autorité ayant le toujours la mainmise sur la cir-
l’Union européenne). À partir du monopole de la violence légitime culation de l’argent. Et c’est jus-
1 janvier 1993, le marché finan- (Max Weber, 1919), a de plus en tement la connivence des Na-
er
cier de l’UE est complètement libé- plus de difficultés à assumer tions qui assure la pérennité des
ralisé : la capitalisation boursière son rôle de superviseur. paradis fiscaux. Le Royaume-
totale représentait ainsi 8 400 mil- Uni, les États-Unis mais égale-
liards d’euros fin 2013 (environ 65 La disparition progressive de ment la France auraient en effet
% du PIB) contre 1 300 milliards en l’argent liquide affaiblit en outre trouvé leur intérêt à soutenir
1992 (22 % du PIB). l’efficacité des politiques de ré- l’existence de tels dispositifs
gulation et de contrôle étatique dérogatoires.
La littérature économique consi- ou supra-étatique. Le processus
dère la finance offshore comme de circulation de la monnaie est La circulation des capitaux, du
une réponse normale à la sur- géré traditionnellement par les fait de la libéralisation des tran-
taxation des pays riches. Au ni- Banques centrales qui sont en sactions financières mais égale-
veau international, selon la théo- charge non seulement de la créa- ment de leur criminalisation
rie économique classique, la mo- tion monétaire mais également rend donc le contrôle des pou-
bilité des capitaux permettrait de la régulation (par les prix ou voirs publics délicat et relative-
aux pays qui ont des ressources les stocks) de la masse moné- ment peu efficace. La puissance
d'épargne limitées d'attirer des taire en circulation. Les Banques étatique est de plus en plus dé-
financements pour leurs projets centrales jouent également le munie pour assurer le suivi des
d'investissement internes. La rôle de prêteur en dernier res- transactions financières. La dé-
justification théorique de la libé- sort en cas de crise. régulation a certes levé les bar-
ralisation repose sur le principe rières aux transactions mais elle
d’allocation optimale. L’élimina- Mais, la position de domination a surtout accéléré la perte de
tion des capitaux diminue le rôle et de contrôle de l’argent par les contrôle de la puissance éta-
de l’État et cette tendance ne pouvoirs publics va-t-elle perdu- tique, facilitant le développe-
semble pas se renverser à rer ? La Banque centrale euro- ment de pratiques illicites.
moyen terme. La science écono- péenne a récemment supprimé L’exemple des paradis fiscaux
mique justifie les paradis fis- le billet de 500 euros, en cher- est révélateur de cette nouvelle
caux par des arguments clas- chant à lutter contre le blanchi- opacité des circuits financiers
siques, soutenus par la pensée ment des bénéfices des trafics dans un système pourtant de
libérale et néolibérale (théorie illicites et donc les activités cri- plus en plus globalisé. Et paral-
des avantages comparatifs). La minelles. Cette action confirme lèlement, la coopération interna-
circulation des capitaux fait de la tendance de disparition de tionale « bute encore sur la dispa-
plus en plus fi des frontières l’argent physique. Un effet de rité des lois et des procédures dans
géographiques et physiques. report va s’opérer, de l’argent les différents pays concer-
physique à la monnaie virtuelle. nés » (Gudrùn Kopp, 2006).
B. La place menacée de l’État La monnaie numérique ne cesse Se pose alors la question de la
de s’affirmer comme une alter-
L’État apparaît de prime abord native crédible, non seulement caractérisation des liens entre
comme la principale autorité de pour les opérations légales mais libéralisation des capitaux et cri-
contrôle de la circulation des également illégales. Parmi les minalisation des transactions.
capitaux. Le rôle de l’État est ef- exemples les plus connus : le Autrement dit, la circulation fa-
fectivement central. Les agents Bitcoin. D’un point de vue glo- cilitée des capitaux a-t-elle en-
affichent alors un fort niveau de bal, l’État subit une perte de traîné la criminalisation de la
confiance, cette relation repo- pouvoir notable. sphère financière ? À l’extrême,
sant sur la notion de puissance pourrait-on envisager une situa-
exclusive et de souveraineté de Cependant, d’aucuns soutien- tion d’indépendance de la fi-
l’État sur le sujet. « Celui qui nent en contre-pied qu’il n’y pas nance offshore par rapport à la
contrôle l’argent de la nation de diminution du pouvoir de la finance traditionnelle voire à
contrôle la Nation » déclara Tho- force étatique mais seulement l’économie réelle ?
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N 19– Juillet 2017
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