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Par  ailleurs,  l’hétérogénéité  des  dans  le  déclenchement  de  la  cision  est  plus  que  symbo-
          cadres  juridiques  apparaît  clai- crise  financière  de  2008.  Paul  lique puisqu’elle affirme le carac-
          rement comme un facteur incita- Krugman (2013), dans un article  tère illégal des « tax rulings », dé-
          tif  qui  s’est  traduit  par  un  net  pour  le  New  York  Times  intitulé  passant  la  notion,  plus  neutre,
          accroissement  des  facilités  non  « Tax heavens trauma », cite dans  d’optimisation  fiscale.  Une  déci-
          seulement pour les contribuables  ce  sens  l’ouvrage  référence  de  sion du même ordre a été prise le
          à  la  recherche  d’opportunités  de  Nicholas  Shaxson  (2012)  et  re- 30  août  2016  concernant  la  so-
          placements  très  rentables  mais  prend cette idée de lien de cor- ciété  Apple  pour  des  arrange-
          également par le crime organisé :  rélation entre crise financière et  ments passés avec l’Irlande. Au
          «  L’usage  croissant  de  territoires  accélération  des  mouvements  final,  la  multinationale  devrait
          extra-territoriaux   correspond   de  capitaux  via  les  paradis  fis- régulariser la situation avec une
          d’ailleurs  au  passage  d’une  spé-  caux.  “Not  only  do  they  bleed  amende de plus de 13 milliards
          cialisation initiale presque exclu-  revenues   from   cashstrapped  d’euros.
          sivement  centrée  sur  l’évasion   governments and enable corrup-
          fiscale à une fonction plus diver-  tion; they distort the flow of cap-  La  transparence  demandée  aux
          sifiée  de  protection  des  profits   ital,  helping  to  feed  ever-bigger   multinationales est de plus une
          licites ou non des acteurs écono-  financial   crises“   (Krugman,   condition sine qua non de la ré-
          miques  publics  et  privés  du   2013).                            ussite  de  ces  politiques.  La  loi
          monde entier  »  (Bernard  Castel-                                  Sapin II introduit une obligation
          li, 2005).                                                          de  reporting  financier  public
                                            III.  Des tentatives de régu- par  pays  (nombre  de  salariés,
                                            lation  globale  :  un  succès    chiffre d'affaires, impôts sur les
          B. Les risques de l’autonomi-                                       bénéfices,  etc.),  sous  certaines
          sation de la finance offshore     encourageant bien qu’insuf-       conditions. Celle-ci n'entrera en
                                            fisant
          Parallèlement, la finance offshore                                  vigueur    qu'après    l'adoption
          ou « shadow banking » gagne en    Devant  le  constat  du  caractère  d'une  directive  européenne  si-
          autonomie  par  rapport  aux      internationalisé des  paradis  fis- milaire  et  au  plus  tard  au  1er
          États, si bien qu’il est pertinent   caux,  les  réponses  qui  doivent  janvier 2018.
          de  se  poser  la  question  des   être  apportées  par  les  pouvoirs   Parallèlement,  il  convient  de
          risques  inhérents  à  cette  indé-  publics  seront  nécessairement   souligner l’importance de lutter
          pendance  croissante.  Certains   globales.  Tout  d’abord,  les  ex-  contre  un  phénomène  connexe
          secteurs  de  l’économie  réelle   perts  mettent  en  avant  le  rôle   et toutefois fortement  corrélé à
          sont  devenus  particulièrement   ambigu des conventions fiscales   la  persistance  des  paradis  fis-
          vulnérables  aux  pratiques  du   avec certains pays ou territoires   caux  à  savoir  la  corruption.  La
          blanchiment.  La  NSA  (National   non coopératifs.                 Loi   Sapin   II   constitue   un
          Security Agency), agence britan- À l’échelle européenne, des suc- exemple  récent  des  avancées
          nique  de  lutte  contre  le  crime  cès sont à noter, laissant croire  positives  dans  le  sens  de  la
          organisé, a révélé les principaux  à  une  amélioration  de  la  situa- transparence  et  de  la  lutte
          secteurs  à  risque  :  les  secteurs  tion,  notamment  à  l’échelle  de  contre  la  corruption.  Parmi  les
          bancaire et immobilier, les cabi- l’UE.  Le  21  octobre  2015,  la  mesures  introduites,  il  est  dé-
          nets  de  conseil  fiscal  et  juri- Commission  européenne  a  con- sormais  possible  de  poursuivre
          dique, les casinos etc. Grâce aux  damné des filiales de Fiat et de  une entreprise en cas de corrup-
          possibilités  offertes  par  la  fi- Starbucks pour des pratiques de  tion à l'étranger, le texte créant
          nance  offshore,  ces  activités  se  «  tax  rulings  »  c’est-à-dire  des  une  infraction  de  «  trafic
          sont  montrées  particulièrement  accords   passés    entre   l’État  d'influence d'agent public étran-
          vulnérables  aux  pratiques  frau- (respectivement  le  Luxembourg  ger  ».  Comme  aux  EÉtats-Unis,
          duleuses voire criminelles. Dans  et  les  Pays-Bas)  et  les  multina- la justice française pourra donc
          cette  perspective,  les  paradis  tionales en vue de diminuer les  condamner  pour  des  actes  de
          fiscaux  extraterritoriaux  pour- impôts  à  verser  à  l’administra- corruption  à  l'étranger  des  en-
          raient avoir joué un rôle crucial  tion fiscale. En réalité, cette dé- treprises  étrangères  ayant  tout




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