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de Fresnes, bien qu’il ait jusque pays étrangers ont été exami- raient la sonnette d’alarme,
là été observé avec beaucoup de nées. mais n’étaient pas écoutés. Cer-
réserves. tains affirmaient même avoir
Ce travail a duré plusieurs mois.
Ainsi, la création de cinq quar- Si la plupart des interlocuteurs été « taxés d’islamophobie »,
tiers dédiés étaient-elle annon- institutionnels de la CGLPL ont lorsqu’ils mettaient leur hiérar-
cée comme une « duplication » fait montre d’une grande ouver- chie en garde contre un phéno-
de l’expérience de Fresnes où elle ture d’esprit, il est arrivé que mène croissant qu’ils étaient
se poursuivrait, à Fleury-Mérogis, certains manifestent des réti- impuissants à contenir. Des
Osny, et Lille-Annoeullin. Ces uni- cences, voire de l’incompréhen- notes faisant état de l’inquié-
tés assureraient pour certaines sion à l’égard de sa démarche. tude des intervenants de terrain
l’évaluation des personnes déte- Dans une période d’une telle communiquées à la CGLPL étaient
nues et/ou leur prise en charge. gravité, était-il vraiment néces- ainsi restées sans réponse, re-
Des appels d’offre étaient lan- saire de se pencher sur la ques- grettaient-ils. Autre reproche :
cés pour poursuivre des tion des droits fondamentaux ? le poids trop grand que les pou-
« recherches-actions » (en cen- Porter un regard tatillon, voire voirs publics comme l’opinion
trale, en milieu ouvert et chez aux yeux de quelques-uns com- feraient peser à l’administration
les mineurs) ; des aumôniers plaisant à l’égard de personnes pénitentiaire dans le développe-
musulmans devaient être recru- détenues, était-il de mise ? À ment de la radicalisation isla-
tés ; des modules d’éducation ces critiques à peine voilées, la miste. Nombre de personnes
civique et d’histoire des reli- CGLPL a tenu à répondre, dès la rencontrées déploraient une
gions et des modules sur la ci- première page de son rapport tentative de renvoyer la respon-
toyenneté et la laïcité devaient du 11 juin 2015 : « Sans négli- sabilité des failles du système
être mis en place. Des grilles de ger les problèmes de sécurité, de repérage à une institution
détection de la radicalisation en parfaite conscience de la gra- aux moyens faibles, débordée
devaient être renouvelées. vité et de l’ampleur du phéno- par une surpopulation galo-
mène de radicalisation dans la pante.
Pour élaborer son premier rap-
port sur ce sujet, la CGLPL a ré- société toute entière et dans les Au cours d’une visite de deux
uni des informations de types établissements pénitentiaires - jours à Fresnes, au mois de jan-
différents, à partir de sources et en particulier des risques que vier 2015, les 22 personnes dé-
diversifiées et de visites sur fait peser le prosélytisme sur tenues regroupées ont été ren-
place (Fresnes, Réau, Bois d’Ar- les personnes détenues les plus contrées par les contrôleurs qui
cy, Osny). Il s’est agi de rassem- vulnérables- le CGLPL a souhaité ont pu s’entretenir avec elles
bler les éléments les plus objec- déterminer quelles conséquences individuellement et en toute con-
tifs possibles sur les phéno- en matière de droits fondamen- fidentialité. Plusieurs enseigne-
mènes de radicalisation en dé- taux peut entraîner la création ments ont été tirés de ces entre-
tention, leur évolution et leur d’un mode de surveillance parti- tiens et des observations faites
traitement. Les observations de culier qui ne correspond à au- sur place, la direction et les diffé-
la direction de l’Administration cune catégorie connue jus- rentes catégories d’intervenants
pénitentiaire (DAP), des services qu’ici. » s’étant longuement exprimées.
de renseignement et des acteurs Au cours des entretiens avec les La plupart des personnes déte-
de terrain ont été recueillies. différentes catégories de per- nues ont expliqué aux contrô-
Des entretiens ont été menés sonnels intervenant en déten- leurs ne pas comprendre ce qui
avec des chercheurs, des poli- tion dans les établissements vi- les avait conduites à ce mode
ciers, des magistrats, des avo- sités, un désarroi profond s’est d’incarcération spécifique, con-
cats, des représentants syndi- régulièrement exprimé. Les in- sistant en un isolement de prin-
caux, des familles de détenus, terlocuteurs de la CGLPL ont cipe du reste de la détention, et
des membres des services péni- expliqué que la question de la craindre une forme de stigmati-
tentiaires d’insertion et de pro- radicalisation n’était pas pour sation préjudiciable à leur par-
bation (SPIP), des responsables eux une découverte, qu’auraient cours pénal, ainsi que le fait
associatifs. Les politiques pu- ravivée les attentats. Depuis des d’être mêlées « à des personnes
bliques développées dans des années, ont-ils expliqué, ils ti- détenues plus ancrées dans le
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N 19– Juillet 2017
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