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« d’usurpation de nom » suppose, chands ou commissionnaires qui pel rejeta ce moyen de défense
comme élément matériel, l’apposi- auront sciemment recélé, mis en et jugea que devaient être consi-
tion sur une oeuvre d’un nom qui vente ou en circulation les ob- dérés comme marchands les per-
n’est pas celui de son auteur. La loi jets revêtus de ces noms, signa- sonnes s’adonnant habituellement
de 1895 retient donc la signature tures ou signes. Le législateur de au commerce de tableaux .
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comme élément décisif de l’au- 1895 a voulu permettre les pour- Il est toujours intéressant de se
thenticité d’une oeuvre. Comme le suites à l’encontre des profes- pencher sur le sort des oeuvres
souligne Pierre Henaff, auteur sionnels du marché de l’art par incriminées à l’issue des pour-
d’une thèse sur le sujet du faux l’entremise desquels circulent les suites pénales. La loi de 1895
artistique, ce critère peut s’avé- faux artistiques. Dans un arrêt de dispose ainsi dans son article 3
rer inopérant , puisqu’il existe des 1965, la Cour de cassation a ainsi que : « les objets délictueux sont
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cas où des oeuvres parfaitement condamné un marchand de ta- confisqués et remis au plaignant
authentiques supportent une signa- bleaux qui avait acquis une peinture ou détruits sur son refus de les
ture imitée. Reste que dans la lo- d’origine suspecte revêtue de la si- recevoir ». Une loi du 5 février
gique de la loi, c’est la fausseté gnature d’Henri Matisse. Pour con- 1994 a modifié l’article 3 en ren-
ou l’authenticité de la signature firmer l’arrêt de condamnation, la forçant les pouvoirs de la juridic-
qui importe. L’élément moral du Cour note que le marchand avait tion répressive. Le texte prévoit
délit est constitué par le caractère déjà tenté de vendre l’oeuvre liti- désormais qu’à l’issue de la pro-
frauduleux de l’apposition, ce qui, gieuse avec une fausse attestation cédure, la juridiction qui a sta-
selon une jurisprudence cons- et qu’il avait été obligé de la re- tué peut, même en cas de non-
tante de la cour d’appel de Pa- prendre devant les protestations lieu ou de relaxe, lorsqu’il est
ris , résulte du fait lui-même de la famille du peintre ; que plu- établi que les oeuvres saisies
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d’avoir apposé une fausse signa- sieurs années après, il avait à constituent des faux, de pronon-
ture sur un tableau. nouveau tenté de trouver un cer la confiscation de ces oeuvres
acheteur en passant par un inter-
L’article 1 de la loi de 1895, pu- ou leur remise au plaignant. De
nit également de deux ans d’em- médiaire et en utilisant l’attesta- plus l’article L.3211-19 al. 2 du
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prisonnement et de 75 000 eu- tion dont il s’était déjà servi . Code général de la propriété des
ros d’amende ceux qui auront Par comparaison avec le recel personnes publiques précise que
frauduleusement et dans le but classique, il sera observé que le les oeuvres qui auront été con-
de tromper l’acheteur sur la per- recel de faux artistique ne s’ap- fisquées dans les conditions des
sonnalité de l’auteur, imité sa plique ni aux simples particu- articles 3 et 3-1 de la loi du 9 fé-
signature ou un signe adopté liers ni aux personnes organisant vrier 1895 seront soit détruites,
par lui. L’élément matériel du des expositions, catégorie expressé- soit déposées dans les musées de
délit de faux artistique par imi- ment exclue dans les travaux parle- l’État et de ses établissements pu-
tation de signature est consti- mentaires. Dans une affaire célèbre, blics, après avis de l’autorité com-
tué, selon la jurisprudence, par le Centre Pompidou à Paris (CNAC) pétente de l’État.
le fait d’imiter la signature ou le avait signé en 1977 un compro- Le champ d’application de la loi
monogramme du véritable au- mis de vente pour trois tableaux sur les faux artistiques com-
teur de l’oeuvre avec l’intention de Piet Mondrian avec Madame V, porte toutefois deux limites im-
formelle de tromper l’acqué- oeuvres qui se sont révélées être portantes : tout d’abord elle ne
reur . Contrairement au délit de des faux. Pour sa défense devant s’applique qu’aux oeuvres non tom-
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faux artistique par usurpation la cour d’appel, Mme V poursui- bées dans le domaine public, c’est-
de nom, la loi de 1895 exige pour vie pour fraude artistique et faux à-dire aux oeuvres des artistes
l’élément moral que soient prou- certificats soutint notamment jusqu’à 70 ans après l’année de
vées non seulement la fraude, mais qu’elle ne pouvait être considérée leur décès. Ensuite la loi vise
également la volonté de tromper comme « marchand » au sens de dans son article 1.1° « Ceux qui
l’acheteur sur la personnalité de la loi de 1895. Dans un arrêt de auront apposé ou fait apparaître
l’auteur.
1985, confirmé le 12 mai 1987 frauduleusement un nom usurpé sur
Enfin, l’article 2 de la loi de 1895 par la chambre criminelle de la une oeuvre de peinture, de sculp-
punit des mêmes peines les mar- Cour de cassation, la cour d’ap- ture, de dessin, de gravure et de
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N 36– Janvier 2022
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