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d’escroquerie ou de destruction 1957. Une erreur dans l’utilisation premier rang pendant une bonne
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de biens culturels , la matière artis- anachronique d’un pigment, un partie du XXème siècle, elle est au-
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tique suscite une délinquance parti- blanc de titane, permettra finale- jourd’hui devancée par les États-
culière, à laquelle le droit pénal ment à une galerie Suisse de Unis, la Chine, et le Royaume-Uni.
ne répond qu’imparfaitement, mettre à jour la supercherie. Or la confiance dans le marché
que ce soit en France ou à Cette affaire démontre bien la de l’art est indispensable à son
l’étranger. Bien après que les limite de la réponse pénale, et le développement, y compris pour
infractions ont été mises à jour nécessaire relais de la justice ci- les ventes en ligne. C’est pour res-
et les prévenus reconnus cou- vile, puisque pour des raisons de taurer ou préserver cette con-
pables condamnés, les biens cul- preuve et de prescription, le fiance que le droit pénal reste un
turels « faux », détruits, volés ou couple Beltracchi n’a été condam- recours essentiel pour les parties
recelés continuent le plus sou- né que pour quatorze tableaux, civiles.
vent à circuler dans le temps et alors que des centaines d’autres La répression du faux artistique
dans l’espace, ce qui pose au tableaux se trouvent encore sur le en droit français n’est pas chose
juriste des questions complexes marché et apparaissent périodi- facile. Les limites inhérentes au
et parfois inédites. quement . Le recours du posses- délit de faux artistique font qu’il
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seur de bonne foi est alors civil,
Ce fut le cas par exemple dans l’af- est parfois plus sûr de se référer
faire du faussaire Wolfgang Fisher , par le biais d’une action en nulli- à la contrefaçon, ou encore à
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condamné par le tribunal correc- té de la vente. Encore faut-il, une infraction de droit commun
tionnel de Cologne, en octobre dans chacun des cas, établir telle que l’escroquerie ou la trom-
2011 à six ans de prison pour l’inauthenticité de l’oeuvre. perie, plutôt que risquer de se
avoir fabriqué pendant une tren- La question de la provenance et heurter à une loi qui n’a pas été
taine d’années de faux tableaux de l’authenticité des oeuvres est conçue, en 1895, pour assurer la
d’expressionnistes allemands et ainsi devenue une question clé répression de l’ensemble des
d’artistes français du début du qui sollicite des comités d’ar- actes délictueux liés à la fabrica-
siècle comme Heinrich Campen- tistes et des experts, des rédac- tion et à la circulation d’un faux
donk, Max Ernst, Fernand Léger, teurs de catalogue raisonné, et artistique. L’analyse des travaux
André Derain ou encore Raoul des bases de données, en bref préparatoires de la loi est élo-
Dufy. Avec l’aide de sa femme une diversité de sachants som- quente à cet égard car elle dé-
Hélène Beltracchi, dont il porte més de dire le vrai et pour qui la montre que cette loi n’avait pas
le nom, il était parvenu à écouler tâche s’avère souvent délicate et vocation à prévoir et réprimer
sur le marché des centaines parfois impossible. l’ensemble des cas de faux, mais
d’oeuvres pour plusieurs mil- simplement à pallier les insuffi-
lions d’euros. Sa façon de procé- Pourtant, cette réponse pénale sances du droit pénal commun.
der était particulièrement ha- est nécessaire car le marché de La loi sur les faux artistiques du
bile : fin connaisseur, il analy- l’art est un secteur à la fois at- 9 février 1895 ne prévoit ainsi
sait et étudiait l’histoire et le tractif et fragile qui connaît de- que deux types de faux : celui
style de l’artiste cible jusqu’à en puis une quinzaine d’années une dit « d’usurpation de nom », et
avoir une connaissance intime. Il croissance exceptionnelle, et qui celui dit « d’usurpation de signa-
repérait alors les oeuvres recen- représente en 2021 au niveau ture ».
sées disparues ou les séries in- mondial, malgré la pandémie, 42
complètes, et créait une « oeuvre » milliards d’euros . La circula- Le délit d’usurpation de nom est
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à la manière de l’artiste. N’utili- tion de faux ou d’oeuvres dé- défini à l’article 1 de la loi et punit
sant que des toiles et des pig- tournées est une menace à la de deux ans d’emprisonnement et
ments d’époque, il avait égale- fois pour les amateurs et les de 75 000 euros d’amende ceux
ment mis au point une fausse professionnels. C’est également qui auront apposé ou fait appa-
provenance, la galerie d’Alfred un enjeu important pour les ins- raître frauduleusement un nom
Flechteim, marchand d’art juif titutions muséales et pour la usurpé sur une oeuvre de pein-
allemand ayant fui l’Allemagne place de la France sur ce marché ture, de sculpture, de dessin, de
nazie, et décédé à Londres en mondial. Après avoir occupé le gravure et de musique. Ce délit dit
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N 36– Janvier 2022