Page 57 - revue_N28_octobre_2019
P. 57
intégrer la réalité des processus rale. Les travaux – nombreux – leurs actions juridiques contre
à l’oeuvre permettra, à n’en pas sur le leadership et son exer- les lanceurs d’alerte. Pour rap-
14
douter, de positionner plus clai- cice nous montrent bien que l’at- pel, l’entreprise de plus de 50
rement encore les droits et de- teinte d’objectifs ambitieux salariés doit mettre en place des
voirs de chacun. Sur un plan ma- passe par une confiance suffi- procédures et/ou des dispositifs
nagérial, nous défendons l’idée samment grande et établie dura- pour recueillir les signale-
que ces dilemmes ne peuvent blement entre les salariés et les ments . Ces nouveaux canaux
15
être dépassés que par une matu- managers / dirigeants qui gui- peuvent être actionnés par des
rité des organisations plus signi- dent et dirigent l’action quoti- salariés ou des anciens salariés,
ficative sur ces questions. Cette dienne au sein de l’entreprise. mais aussi pas des collabora-
maturité managériale plus La confiance est souvent longue teurs occasionnels, comme les
grande passe par des apprentis- à instaurer dans une équipe de consultants ou les intérimaires,
sages restant à réaliser à ce jour travail. Ne pas envisager sérieu- par exemple. L’entreprise a ainsi
dans la plupart des organisa- sement, et ne pas considérer de tout intérêt à déployer ses
tions ayant fait face à des alertes manière pratique, la révélation propres processus dans la me-
médiatisées. La recherche d’une des manquements à l’éthique, sure où la loi précise bien
plus grande cohérence entre les des dysfonctionnements, voire qu’elle dispose d’un « délai rai-
théories professées et les théo- des fraudes au sein de l’organi- sonnable » pour traiter l’alerte. À
ries en usage au sein de l’entre- sation reviendrait, pour des diri- défaut, celle-ci pourra être trans-
prise en matière d’alerte est es- geants, à liquider a priori le ca- mise à une autorité judiciaire
sentielle. Les apprentissages à pital confiance de l’organisation compétence à des fins d’instruc-
réaliser en la matière doivent dont ils ont la charge. Impos- tion. Si cette dernière n’a pas trai-
permettre la cohérence des théo- sible ! té le dossier dans un délai de trois
ries de l’action. mois, alors l’alerte pourra être
Par conséquent, considérer
l’alerte et celui qui la lance n’est rendue publique, avec toutes les
II. Dépasser les di- pas altruiste ou bienveillant. conséquences fâcheuses pour
l’entreprise que cette médiatisa-
lemmes : la nécessité C’est d’abord une action prag- tion pourrait revêtir.
d’une plus grande maturi- matique de préservation de la
té managériale confiance, et ce faisant, de Au-delà, l’entreprise a un intérêt
l’équilibre managérial au sein de évident à contrôler l’information
l’organisation. sortante, notamment lorsque
A. Protéger le lanceur celle-ci véhicule des difficultés,
d’alerte est aussi une Le second argument a trait à la des dysfonctionnements, voire
nécessité pour l’entre- position d’équilibriste que doit des malversations. Les risques de
parvenir à maîtriser le manage-
prise réputation et d’image méritent
ment, tiraillé entre la défense
Pourquoi faudrait-il que des diri- légitime des intérêts écono- qu’une attention de tous les ins-
geants protègent un salarié lan- miques de l’entreprise d’une tants soit portée à ces questions
ceur d’alerte alors qu’il met à mal part, et l’obligation désormais stratégiques essentielles. Les con-
la réputation – voire la pérennité - de permettre l’apparition puis le séquences peuvent être très signi-
de l’entreprise ? Au moins deux traitement d’une alerte qui pour- ficatives sur les parts de marchés,
arguments peuvent être avancés rait lui nuire, d’autre part. En sur les emplois, et parfois, sur la
ici pour signifier qu’il s’agit, en matière d’alerte, l’entreprise se survie de l’entreprise elle-même.
réalité, d’une manière très prag- trouve en position d’équilibre En outre, une bonne réputation -
matique de défendre aussi les in- instable. comme la confiance - est longue et
térêts de l’entreprise. difficile à construire, mais elle
Depuis 2016, la loi Sapin II en peut être presque immédiatement
Le premier argument a trait à la France a pour première consé- détruite.
confiance, qui n’est pas un vain quence que les entreprises ne
mot. La confiance en manage- peuvent plus ignorer leurs obli- Avec la loi Sapin II de 2016, le
ment est essentielle, au même gations en la matière, et peuvent législateur a préconisé d’abord
titre qu’elle l’est pour le fonc- sans doute mieux mesurer une diffusion de l’alerte en in-
tionnement de l’économie géné- qu’auparavant les limites de terne, tout en permettant une
57
N 28– Octobre 2019
°