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diffusion en externe le cas blowing depuis une trentaine prises, nous éclaire sur la lutte
échéant. Il a, semble-t-il, voulu d’années, depuis les États-Unis. contre fraudes et corruptions,
tenir compte de l’équilibre ins- Leur contribution au manage- vue par l’entreprise : « Malgré
table dans lequel se trouve l’en- ment est essentielle, notamment 11 milliards d’amendes pour cor-
treprise. En effet, s’il impose à pour comprendre les raisons qui ruption infligés par les régula-
l’entreprise des sanctions en cas motivent un lanceur d’alerte à teurs depuis 2012, 38% des ré-
d’obstruction à l’exercice de agir de manière interne à l’orga- pondants estiment que les pra-
d’alerte, il veille aussi à limiter nisation plutôt que de manière tiques corruptives sont toujours
une diffusion trop rapide de externe, par médiatisation de largement répandues dans leurs
l’alerte « hors les murs », afin de l’affaire. Leurs conseils aux diri- activités. En France, 20% sont de
laisser le temps aux acteurs de geants sont clairs : enquêter plu- cet avis. Le taux s’élève à 52%
traiter en interne un dysfonc- tôt que de chercher à étouffer dans les pays émergents ». Pour
tionnement signalé. Le lanceur les affaires, notamment par des un répondant sur dix environ, la
d’alerte doit être protégé, et son représailles à l’endroit des lan- corruption reste une pratique
nom ne doit pas être divulgué au ceurs d’alerte, informer les per- courante afin de remporter des
cours de l’instruction interne sonnes concernées des résultats contrats ou de conserver des
notamment. Mais les modalités des enquêtes, et, bien entendu, marchés. Et, d’après l’étude EY,
opératoires ou les responsabili- prendre des mesures adéquates 20% des dirigeants de moins de
tés des parties prenantes pour pour corriger les dysfonctionne- 35 ans seraient prêts à justifier
préserver l’anonymat ne sont ments, le cas échéant. Les exter- ces pratiques non éthiques pour
pas précisées par la loi, laissant nalités négatives des alertes mé- assurer la survie de leur entre-
ainsi aux acteurs une latitude diatisées seront alors minimi- prise…
managériale certaine. sées. D’autres travaux se sont
inscrits dans la même perspec- Alors que faire ? Aider l’entre-
Les deux arguments brièvement prise à faire le grand écart entre
développés ci-dessus (la possible tive, en soulignant le caractère discours éthiques et pratiques
crise de confiance et l’équilibre in fine vain, voire dangereux douteuses n’est évidemment pas
instable à gérer) invitent naturelle- pour l’entreprise, des repré- une manière utile ou efficiente
ment l’entreprise à tout faire pour sailles à l’encontre des lanceurs de protéger ses intérêts, ni
maîtriser le processus plutôt qu’à d’alerte. Selon nous, il ne s’agit même de conserver l’intérêt que
le subir. Le maîtriser pour se con- pas de confiner l’alerte, mais lui portent ses salariés – et plus
former à la loi, mais aussi pour bien de l’instruire sérieusement globalement les citoyens. Il est
agir en cohérence avec les prin- de l’intérieur, en protégeant le bien plus efficace d’aider dura-
cipes et les valeurs que l’entre- lanceur d’alerte des représailles, blement cette entreprise à ac-
prise énonce elle-même par ail- y compris de ses pairs. quérir ce que nous nommons ici
leurs. Le maîtriser pour ne pas Pourtant, ces recommandations une plus grande maturité mana-
subir, c’est-à-dire pour ne pas managériales ne vont pas de soit gériale. Selon nous, celle-ci doit
avoir à gérer la médiatisation et percutent parfois violemment être consubstantielle d’une res-
d’une alerte qui échappe quasi les réalités du monde des af- ponsabilité managériale des diri-
systématiquement, tant à l’entre- faires. Elles révèlent les difficul- geants bien plus significative .
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prise qu’à l’auteur de l’alerte elle- tés d’un équilibre déjà précaire,
même. Protéger le lanceur d’alerte entre la nécessaire protection Une plus grande maturité mana-
peut permettre à l’entreprise de des intérêts économiques de gériale va au-delà de la
conserver une forme de contrôle l’entreprise, et la conformité à « simple » mise en conformité
sur les événements. des valeurs de responsabilité (compliance logic) pour éviter les
sociale que cette même entre- problèmes. Elle suppose que les
B. Traiter rigoureusement prise affiche aux yeux de ses entreprises se saisissent, au
l’alerte est un moyen parties prenantes, internes fond et dans une perspective de
de contenir ses effets comme externes. Ainsi, une long terme, de ces questions et
négatifs étude internationale du cabinet qu’elles se donnent les moyens
EY, publiée en 2018 et conduite d’une transparence assumée et
Janet Near et Marcia Miceli étu- dans 55 pays, auprès de 2 550 non feinte. Cela passe
dient le phénomène du Whistle- collaborateurs de grandes entre- par donner des réponses claires
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N 28– Octobre 2019