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les juges peinent à identifier la III. Des sanctions non dis- voyou tirant complaisamment pro-
contrefaçon comme étant une at- suasives fit de l’aubaine économique que
teinte à l’intérêt général et mani- représente la contrefaçon. La fonc-
festent à l’égard de celle-ci une Comme nous l’avons évoqué plus tion dissuasive des peines de la
certaine « timidité » . Représen- haut, la contrefaçon se présente contrefaçon souffre de ce discours
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tant moins de 10 % du contentieux de nos jours comme un trafic ambigu souhaitant réprimer l’avan-
global des droits de la propriété mondialisé opérant selon un pro- tage retiré par le consommateur
intellectuelle, le contentieux pénal cessus commercial similaire à ce- d’un trafic dont il est supposé être
de la contrefaçon demeure rési- lui de l’industrie licite. La France la première victime. Une étude de
duel, les quelques peines pronon- est ainsi visée par les trafiquants l’Union des Fabricants pour la lutte
cées par les juridictions répressives en raison du marché qu’il abrite, contre la contrefaçon (UNIFAB) me-
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s’avérant souvent dérisoires et se les infractions de contrefaçon née en 2012 a révélé que si « la no-
concentrant presque exclusivement commises sur le territoire français toriété du risque encouru par le
en droit des marques . Un décalage étant essentiellement des faits consommateur de contrefaçon est
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étonnant se forma ainsi entre les attachés à la commercialisation certes quasi unanime, celui-ci est
ambitions politiques du dispositif des marchandises contrefaisantes essentiellement centré sur le dan-
répressif de la contrefaçon et la et non à leur fabrication que l’on ger santé/sécurité (25 à 40 %),
marginalité de son contentieux que sait être réalisée pour l’essentiel tandis que la sanction n’apparaît
les titulaires de droits ne semblent en dehors de l’Union euro- pas comme un risque prioritaire
d’ailleurs pas enclins à privilégier. péenne . À défaut de pouvoir ap- (13 %) » . Une autre étude a pu
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préhender le phénomène à sa montrer que les consommateurs
Le dispositif douanier de lutte
anti-contrefaçon produit des ré- source, la lutte contre la contrefa- français ont tendance à rattacher
sultats tout aussi modestes et çon se structura dès lors autour la contrefaçon « à la dimension
ce, en raison de deux freins ma- du consommateur pris en sa quali- « revanche sur les grands groupes »,
jeurs à l’action des douanes. té de destinataire final de la mar- le consommateur français considé-
D’une part, car le contrôle doua- chandise contrefaisante. Le con- rant comme amusant de défier les
nier s’exerce sur une partie in- sommateur se présente ainsi grands groupes qui commercialisent
fime du flux des marchandises comme le pivot décisif d’une lutte leurs marques à des prix jugés prohi-
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entrant sur le territoire douanier menée à l’encontre d’un phéno- bitifs ».
européen, les douanes étant mène protéiforme au sein duquel Face à cette indifférence notable
donc limitées structurellement il apparaît comme la seule cons- des consommateurs à l’aggrava-
dans leur capacité d’interception tante. Dissuader le consommateur tion des sanctions de la contrefa-
des contrefaçons. D’autre part, d’acheter une contrefaçon est en çon, on peut s’interroger sur le
en raison des nouveaux modes effet la manière la plus simple de bienfondé d’une telle approche
de distribution des contrefaçons lutter contre un trafic qui peut répressive. À plus forte raison que
dont le commerce s’effectue de certes survivre à la perte d’un dis- celle-ci ne produit pas plus d’effet
plus en plus à travers les plate- tributeur, mais non à celle de la dissuasif sur les contrefacteurs
formes de vente en ligne. Inter- demande. criminels. Ce ‘‘paradoxe de la con-
net est même devenu le premier La dissuasion du consommateur trefaçon’’ poussa même certains
canal de diffusion des marchan- de contrefaçons se déploya sur spécialistes à se demander si la
dises contrefaisantes, les trafi- deux niveaux. Elle consista d’une pénalisation à outrance de la con-
quants ayant très tôt compris part, à l’informer sur les risques trefaçon ne conduirait pas finale-
l’intérêt d’un tel mode de distri- attachés à l’achat de contrefaçon, ment à aggraver le phénomène
bution qui permet d’être directe- et procéda d’autre part, d’un re- criminel qu’elle entend précisé-
ment en contact avec le consom- cours appuyé à la fonction dissua- ment endiguer .
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mateur, de réduire les intermé- sive des sanctions pénales et
diaires et donc de minimiser les douanières de la contrefaçon.
risques de contrôle. Distribuées Coïncident par conséquent deux IV. L’effet boomerang de
par le biais de petits colis, les images a priori contradictoires du la prohibition légale de la
contrefaçons deviennent de plus consommateur. Il est à la fois le contrefaçon
en plus dures à intercepter et à consommateur victime, trompé
localiser et le trafic prospère al- quant à la qualité et l’origine de la Toute prohibition légale imposée
lègrement. marchandise et le consommateur sur des biens de consommation
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N 30– Juillet 2020
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