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DOCTRINE JURIDIQUE
LE RESPECT DE LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE
DANS LA LUTTE CONTRE LES DÉRIVES SECTAIRES :
LES 20 ANS DE LA LOI ABOUT-PICARD
HANÈNE ROMDHANE,
CHEFFE DE LA MISSION INTERMINISTÉRIELLE DE VIGILANCE
ET DE LUTTE CONTRE LES DÉRIVES SECTAIRES (MIVILUDES)
a loi n° 2001-504 du 12 abus d’enfants dans les rangs de conscience ? C’est là précisé-
juin 2001, aussi dite loi d’Hare Krishna, etc. ment l’objet de la loi About-Picard
«
L About-Picard » en réfé- qui est venue renforcer l’arsenal
rence aux noms de ses rappor- L’appréciation à laquelle se li- législatif de l’État pour réprimer,
teurs, fêtait cette année ses 20 ans vraient les pouvoirs publics était non pas l’ensemble d’un mouve-
d’existence. Cette législation trouve toutefois périlleuse puisque c’est ment, mais seulement sa manifes-
sa raison d’être dans le combat l’ensemble du mouvement qui tation déviante. Pour comprendre
entamé dans les années 90 contre était visé, ce qui revenait de fait à les enjeux sous-jacents à l’élabora-
ce qui était encore appelé, à marginaliser une croyance par rap- tion de cette loi, il convient
l’époque, « les sectes ». port à d’autres, jugées acceptables. d’abord d’étudier en quoi consiste
Cet engagement de l’État contre la liberté de conscience (I), tant
Tel que le concevait alors l’État, des mouvances spirituelles s’appa-
cette notion renvoyait à un groupe rentait, pour certains, à une croi- dans son principe (A) que dans ses
dont la doctrine et le fonctionne- sade contre la liberté de cons- limites (B). Ce sont les exigences
ment impliquaient, en soi, un dan- cience. Après tout, selon eux, des posées par cette liberté fondamen-
ger pour l’ordre public et des at- scandales financiers et sexuels tale qui marqueront le passage (II)
teintes à la dignité humaine. Le étaient régulièrement observés au d’une approche essentialiste
dogme que développait le mouve- sein des multiples courants qui s’intéressant aux sectes (A) à une
ment visé n’était considéré que composent les grandes religions approche pragmatique s’intéres-
comme un prétexte pour aliéner monothéistes sans que l’État ne sant aux dérives sectaires (B).
des personnes vulnérables physi- les étiquettent de « sectes ». La
quement ou mentalement. Par des stigmatisation des nouvelles I. La liberté de conscience
promesses de guérison, de bien- croyances pouvait revenir, de fait, et la protection du plura-
être ou simplement d’acceptation, à imposer un corpus d’idéologies lisme
ces groupes n’avaient d’autre ob- déterminées à la population. Tra-
jectif que d’isoler, d’épuiser puis cer une ligne entre ce qui relève- A. Le pluralisme comme prin-
d’exploiter financièrement, sexuel- rait d’un culte acceptable, comme
lement ou psychologiquement une religion, et d’un culte cipe
leurs membres. Le pouvoir totali- « immoral », comme une secte, L’État ne peut imposer une idéolo-
taire du mouvement et la malléa- serait une atteinte au pluralisme gie déterminée à ses citoyens sans
bilité de ses adeptes pouvaient indispensable à toute démocratie. porter atteinte au libre arbitre in-
conduire à de lourdes tragédies : dispensable à tout contrat social.
suicides collectifs sous les ordres Comment, alors, trouver un point C’est la diversité des opinions qui
de Jim Jones , attentat au gaz sa- d’équilibre entre une nécessaire contribue à la richesse intellec-
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rin dans le métro de Tokyo par répression de ces dérives et une tuelle d’une société. À cet égard,
Aum Shinrikyō , maltraitance et véritable protection de la liberté le pluralisme ne saurait exister
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N 36– Janvier 2022
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