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sans une protection juridique ef- banales idées, mais d’opinions et de religion, il a été admis, aussi
fective de la liberté de conscience. dont l’on doit être intimement bien en droit français qu’en droit
Celle-ci à deux aspects : la protec- convaincu, c’est-à-dire « des vues européen, qu’elle puisse être res-
tion de la croyance dans le for in- atteignant un certain degré de treinte.
térieur de l’individu, d’une part, et force, de sérieux, de cohérence et
son extériorisation, d’autre part. d’importance » . La Commission Le délit d’opinion n’existe pas en
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européenne des droits de droit français. Néanmoins des dis-
Elle est garantie dès 1789 par l’ar- positions éparses tendent à limiter
ticle 10 de la Déclaration des l’homme avait estimé que les con- la manifestation d’une idée. Ces
droits de l’homme et du citoyen. victions, pour être reconnues limites ne se rencontrent que lors-
La loi du 9 décembre 1905 en est comme telles, doivent pouvoir que cette liberté s’extériorise car elle
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en quelque sorte l’émanation puis- être identifiables et doivent cor- risque alors de troubler l’ordre pu-
qu’elle proclame que « La Répu- respondre à « une vision cohérente blic ou de porter atteinte aux liber-
blique assure la liberté de cons- sur des problèmes fondamen- tés d’autrui. Le droit pénal français
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cience. Elle garantit le libre exer- taux » . Reconnues comme telles, prévoit ainsi des infractions limi-
cice des cultes sous les seules res- ces convictions bénéficient d’une tant l’expression de certaines idées,
trictions édictée dans l’intérêt de protection importante puisque les tant en raison de leur forme que de
l’ordre public ». États ne peuvent en principe avoir leur fond : injure, diffamation, pro-
une quelconque appréciation sur
Sous des vocables différents, la la légitimité des croyances ou sur vocation à la haine ou à la violence,
liberté de pensée est par la suite les modalités d’expression de contestation de crimes contre l’hu-
consacrée par de nombreux textes celles-ci . manité, apologie du terrorisme, etc.
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nationaux et internationaux. L’ar- De même, l’article 10 de la Décla-
ticle 1 de la Constitution de 1958, Les mineurs bénéficient égale- ration de 1789 érige l’ordre pu-
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énonce que « la France respecte ment de cette liberté de cons- blic en limite à la liberté de reli-
toutes les croyances », et se voit con- cience. Elle est garantie par la gion. Toutefois, cette limitation se
forté par l’article 9 de la Convention Convention internationale sur les doit d’être nécessaire et propor-
européenne des droits de l’homme droits de l’enfant à l’article 14 qui tionnée. À cet égard, la cour d’ap-
selon lequel « Toute personne a droit précise que « Les États parties res- pel de Douai a rejeté les de-
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à la liberté de pensée, de conscience pectent le droit de l’enfant à la li- mandes visant à annuler une dé-
et de religion ». berté de pensée, de conscience et
de religion ». libération du conseil de l’ordre
Le Conseil constitutionnel a re- modifiant le règlement intérieur
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connu la liberté de conscience Une pleine effectivité de la liberté du barreau afin d’interdire aux
comme un Principe Fondamental de conscience implique nécessai- avocats de porter « avec la robe
Reconnu par les Lois de la Répu- rement un droit de manifester ses ni décoration ni signe manifes-
blique (PFRLR). La Cour euro- convictions. Cette manifestation tant ostensiblement une apparte-
péenne des droits de l’homme peut s’effectuer de façon indivi- nance ou une opinion religieuse,
(CEDH) estime quant à elle que la duelle ou collective, dans un cadre philosophique, communautaire ou
liberté de conscience « représente purement privé ou en public. Elle politique ». La Cour estime qu’il
l’une des assises d’une société dé- peut revêtir des formes variées – est du rôle de l’avocat d’effacer ce
mocratique au sens de la Conven- culte, rites ou pratiques diverses – qui lui est personnel au profit de
tion » . Rappelant l’importance du dès lors qu’elle exprime claire- la défense de son client et du
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pluralisme, la Cour explique que ment une conviction. Le droit de droit. Elle conclut que « l’objectif
cette liberté est l’un des « éléments manifester ses convictions com- recherché est ainsi bien légitime et
les plus essentiels de l’identité des porte notamment « le droit d’es- l’exigence proportionnée, cette in-
croyants et de leur concept de vie, sayer de convaincre son prochain, terdiction ne valant que lors des
mais elle est aussi un bien précieux par exemple au moyen d’un ensei- seules missions de l’avocat de re-
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pour les athées, les agnostiques, les gnement » . C’est par ces modali- présentation ou d’assistance d’un
sceptiques ou les indifférents » . tés que peut s’instaurer un véri- justiciable devant une juridic-
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table pluralisme. tion ». La Cour effectue donc bien
Ainsi, la Cour veille à protéger le un contrôle de nécessité et de pro-
droit d’avoir des convictions. Le B. De nécessaires limites à la portionnalité pour justifier sa déci-
domaine des convictions person- liberté de conscience sion.
nelles et des croyances est « celui
que l’on appelle parfois le for inté- Si le droit protège pleinement la Il en est de même en droit européen
rieur » . Il ne s’agit alors pas de liberté de pensée, de conscience avec le paragraphe 2 de l’article 9
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